Fin 1954, Monsieur Châtain rachète les locaux de l’ancienne menuiserie de Maxime Brault pour les reconvertir en bar-café-restaurant. La circulation sur la Nationale 10 s’étant considérablement accrue depuis la fin de la guerre, il souhaite offrir aux routiers, voyageurs et touristes un lieu de détente bon marché. Le restaurant de « La Billette » ouvre l’année suivante, il est immédiatement affilié à la chaîne des Routiers et offre ses services 24 heures sur 24.
Dans les années 1950, le restaurant de La Billette devient une affaire prospère à en juger par ces clichés pris depuis le parking. Notez bien le monument visible devant l’Aronde noire, il en sera question plus tard.
Assez rapidement, les locaux s’avèrent trop exigus et Monsieur Châtain est contraint d’agrandir son restaurant. Le bâtiment est radicalement transformé, des fenêtres sont percées, d’autres condamnées.
Une petite annexe flanque la construction d’origine au sud, tandis qu’une grande salle de restauration voit le jour au nord. Le trafic sans cesse croissant sur la Nationale 10 amène à la construction d’une station service à quelques mètres du restaurant en direction de Paris. Ouverte 24 heures sur 24, une maisonnette est même mise à disposition du pompiste de nuit. On distingue tout à gauche de la photo le totem en acier de la station Avia.
Monsieur Châtain au début des années 1960 pose devant son établissement en invitant l’automobiliste à venir se rafraichir ou se restaurer. Notez l’inscription « téléphone » au pied du massif de fleurs.
A la fin des années 1960, l’affaire est confiée à différents gérants dont Madame Eliane Bertin. En 1976, c’est finalement Madame Houdusse, la propre fille de Monsieur Châtain, qui reprend le restaurant avec son époux jusqu’à sa fermeture en 2003.
Quelques personnalités s’arrêtent à La Billette. Un soir, le chansonnier Jean Rigaud totalement épuisé, proposa à Monsieur Houdusse, moyennement une somme rondelette, de le conduire jusqu’à Bordeaux pour honorer une représentation. Ne pouvant laisser le restaurant, il dut repousser l’offre et Jean Rigaud repris le volant. Fernand Reynaud fut particulièrement vexé de ne pas obtenir avec son repas un simple verre de vin. L’usage local faisait que le vin n'était disponible qu’à la bouteille. Le comique perdit tout sens de l’humour, sortit furieux avant de remonter dans sa Rolls grise et de continuer sa route.
Entre temps, l’établissement poursuit sa mue pour devenir un vaste ensemble comportant six chambres, une salle de restauration et des cuisines nettement agrandies. Une imposante antenne de CB trône sur le toit. Elle fut longtemps considérée comme un véritable sémaphore dans la nuit charentaise pour de nombreux routiers lignards de la « 10 » impatients de gagner « La Billette » pour pouvoir s’y reposer.
Vue aérienne de La Billette en 1981, les travaux du redressement de la route sont déjà lancés.
A la fin des années 1970, les accidents toujours plus nombreux dans le dangereux virage situé en contrebas du restaurant obligent les pouvoirs publics à modifier le tracé de la route. Le chantier débute en 1981 et la Nationale 10 est redressée et élargie mais s’écarte de quelques mètres du restaurant. N’empêchant en rien le stationnement et la fréquentation du lieu, c’est quand même le premier signe du déclin de l’établissement.
A gauche, l’ancien tracé de la Nationale 10 abandonné en 1982 pour des raisons de sécurité au profit de la route à droite, elle même déclassée en 2009 lors de l’ouverture de la section en deux fois deux voies.
Le virage situé en contrebas, lieu de bien des drames jusqu'à son déclassement. Au premier plan, l'ancienne Nationale 10 s'arrête net quelques mètres plus loin.
Dans les années 1980, le climat s’obscurcit pour les propriétaires du restaurant. Les Portugais qui formaient une grosse clientèle, surtout lors des migrations estivales sont littéralement « chassés de la Nationale » par la gendarmerie selon Monsieur Houdusse. Leurs voitures, souvent en surcharge, sont impliquées dans de nombreux accidents et la répression des forces de l’ordre les pousse à emprunter systématiquement l’autoroute A 10 mise en service en 1978.
Un fait divers dramatique précipite la fermeture des restaurants routiers ouverts jour et nuit. Un chauffeur routier sous l’emprise de l’alcool blesse mortellement un jeune homme qui se trouve être le fils du nouveau préfet de Charente. Ce dernier au titre de prévention contre l’alcoolisme au volant obtient la fermeture de la majorité des débits de boissons ouverts la nuit, dont « La Billette ».
Les relations entre les compagnies d’autocars de tourisme et les époux Houdusse vont aussi se dégrader. Les gratuités appliquées aux chauffeurs lors de l’arrêt d’un car au restaurant doivent désormais s’étendre aux organisateurs et accompagnateurs ce que les restaurateurs n'acceptent pas. Beaucoup d’autocars refusent désormais d'y faire déjeuner leurs passagers occasionnant une perte sensible du chiffre d’affaire…
Le coup de grâce arrive à la fin des années 1990 lorsque la construction de la deux fois deux voies est actée. La future Nationale 10 doit être déviée quelques dizaines de mètres plus à l'ouest mais surtout de l'autre côté du versant d'un coteau. Il n'est pas question d'une sortie pouvant désservir le restaurant qui se trouve ainsi condamné. Fatiguée, Madame Houdusse ferme le rideau en 2003, six ans avant la mise en service de la nouvelle route.
Cliché intéressant où se côtoient les trois tracés de la Nationale 10 à la Billette depuis la simple route longeant le restaurant à la contemporaine deux fois deux voies.
Le lieu est aujourd'hui bien à l'écart de la circulation mais il a conservé un indéniable cachet. Les nostalgiques peuvent facilement imaginer l'intense activité que ces murs ont pu connaitre pendant près de cinquante ans.
La stèle dont il a été question plus haut est toujours là mais dans un bien piteux état. Ce monument, concession à perpétuité, fut édifié en mémoire d'un pilote, René Dufeu, qui se tua ici même le 5 septembre 1921 lors d'une course automobile, probablement la célèbre Paris-Pyrénes-Paris. Deux autres accidents mortels auraient eu lieu à Roullet-Saint-Estèphe et à Reignac lors de cette même course.
La stèle fut de nombreuses fois endommagée par des camions, remise en ordre avant d'être renversée de nouveau. Elle est aujourd'hui brisée en deux parties, on peut toujours y lire le nom de la victime mais pour combien de temps encore ?