Je me souvins avec une grande nostalgie de cette époque ou un voyage de cinq cents kilomètres sur les routes ressemblait à une expédition au bout du monde. Il ne fallait rien oublier car on allait en location et on n’était jamais sûr de ce qu’on y trouverait, il fallait tout prévoir.
D’autre part, les autoroutes n’existaient pratiquement pas en France. Charles Trenet a chanté la « Nationale7 » pour célébrer la ruée vers la Méditerranée, mais vers l’Atlantique, ce n’était pas plus brillant. Au tout début de l’aventure ronçoise de la Famille, il fallait emprunter les quelques kilomètres de l’autoroute de l’Ouest existants, après avoir parcouru le tunnel de Saint Cloud, jusqu'à Trappes seulement, pour rejoindre la Nationale 10 et passer par Chartres, Vendôme, Tours, Châtellerault, Poitiers et Saintes. Je crois que je pourrais encore égrener les villes et beaucoup des villages qu’on traversait, tant la musique de leurs noms garde pour moi le caractère enchanteur des départs vers Ronce-les-Bains. J'ai fait mon service militaire en 1970, médecin appelé du 501e Régiment de chars de combats, alors stationné à Rambouillet, où j'accédais depuis mon domicile par la Nationale 10.
Jonction entre la Nationale 10 (au centre) et l'autoroute de l'Ouest (en haut à gauche) aux Quatre Pavés du Roi entre Saint-Cyr-l'Ecole et Trappes. Source: archives municipales de Trappes.
La veille du départ, il fallait se coucher tôt pour être frais et dispos pour aborder la route, après avoir chargé le coffre et la banquette arrière de la voiture en n’y laissant qu’un espace réduit pour ma sœur et moi, qui devions voyager coincés entre des sacs d’affaires diverses. Il y avait cinq cents kilomètres et la route était presque exclusivement à deux voies, rarement à trois en devenant meurtrière avec ses chocs fronteaux possibles: des automobilistes des deux bords, impatients de doubler, risquaient de se percuter de plein fouet. Il fallait pratiquement la journée pour couvrir le trajet. Il y avait moins de voitures que maintenant mais l’état des routes était responsable d’encombrements et de bouchons interminables. Je me souviens qu’on s’arrêtait souvent en rase campagne et que les automobilistes descendaient carrément sur le bas coté pour se dégourdir les jambes. Le trajet était jalonné de bouchons historiques, comme ceux de Vendôme et son pont couvert, de Montbazon et de Sainte-Maure-de-Touraine.
Reconstitution de l'embouteillage de Sainte-Maure-de-Touraine en septembre 2015 lors de la seconde édition de "Ça bouchonne sur la 10 !". Collection L. Carré.
On déjeunait d’un sandwich et, pour ce faire, il fallait se ravitailler dans les boulangeries et les charcuteries des villages situés le long de la route. Lorsque je mange maintenant un sandwich au jambon et aux cornichons, je pense encore à ces départs en vacances de l’époque et je crois en retrouver le goût. Les automobilistes se garaient ensuite librement, en rase campagne, à cheval sur la route et le bas-côté, pour déjeuner, capot de la voiture ouvert « pour l'aérer », et on se parlait joyeusement, de famille voisine en famille voisine : C'était ça, les « Trente Glorieuses »: on partait en vacances et on était heureux. C'est un bon vieux temps foudroyé. Les restaurants de bord de route étaient rares et chers.
29 juin 1960, casse-croûte sur la Nationale 150 entre Lusignan (Vienne) et Melle (Deux-Sèvres) pour ces parisiens. Après avoir emprunté la Nationale 10 jusqu'au sud de Poitiers la petite Renault 4 CV ne quittera plus la N 150 jusqu'à Royan. Collection L. Carré.
Je me souviens de ces voitures tirant une caravane, de ces camions et de ces tracteurs agricoles qui gravissaient lentement les côtes en accumulant les voitures derrière eux. Et puis des ravitaillements en carburant, car les voitures de l'époque consommaient plus que maintenant et leurs réservoirs étaient plus petits. Un pompiste en uniforme de sa marque faisait « le plein » avec le sourire, vérifiait les niveaux d'huile et d'eau, et nettoyait, avec une raclette et un chiffon, le pare-brise englué de cadavres d'insectes, car ils étaient nettement moins inclinés que ne nos jours. Il existait d'ailleurs un accessoire pittoresque : une plaquette rectangulaire, en matériau transparent, fixé au dessus de l'avant du capot, qui était censé écarter ces satanées bestioles.
Chartres......la Place des Epars. Mon Père a trouvé une déviation pour l'éviter : il virait à gauche, quelques centaines de mètres avant l'entrée dans la ville. En approchant de Chartres, notre Père récitait Charles Peguy : « Tour de David, voici votre Tour beauceronne / C'est l'épi le plus dur qui soit jamais monté / vers un ciel de clémence et de sérénité / et le plus beau fleuron de votre Couronne ». Je m'en souviens encore, plus de 50 ans plus tard.
La place des Epars à Chartres, passage obligé entre Paris et Royan jusqu'en 1970, date de l'ouverture de la déviation de la capitale beauceronne. Collection L. Carré.
Tours, se relevait des destructions de la guerre: la Nationale 10 virait à gauche pour traverser la ville......avec la Loire en bas. Je crois qu'on appelait cette voie " La Tranchée". Châtellerault avec son immense base militaire américaine avant la traversée de la ville, à droite en venant de Paris, et ces GI’s débonnaires au volant de gigantesques camions. Poitiers, qu'on contournait déjà plus ou moins à l'époque, avant de quitter la Nationale 10 à Croutelle, pour plonger vers Saint-Jean-d’Angély, où on s'arrêtait pour acheter ses illustres macarons.......C'est à Croutelle qu'on abandonnait la Nationale 10.
La bifurcation entre les deux nationales en 1958. La RN 10 traverse encore l'étroit village de Croutelle avant de gravir la rampe de la Mothe et de se scinder, donnant naissance à la RN 11 qui se dirige au sud-ouest vers Niort et Rochefort. Les travaux du contournement de Croutelle battent alors leur plein, la déviation sera ouverte l'année suivante. Source cliché: IGN.
L’autoroute « l’Aquitaine » s’est construite progressivement bien plus tard au fil des années et a commencé par un tronçon entre Paris et Orléans, ce qui a modifié l’itinéraire. Il y a eu ensuite, sans que je sois sûr de la chronologie, Tours-Châtellerault, puis Châtellerault-Poitiers, et enfin pour finir Orléans-Tours, ce qui n’était pas d’une logique extrême.